Face à l’urgence sanitaire, mais aussi aux dangers économiques et sociaux qui en découlent, la majorité va présenter très rapidement un projet de loi dit « d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 ».
Cette monture législative pourrait être votée par une extrême minorité de députés vendredi à 15h (une centaine serait appelée à venir voter mais les modalités ne sont pas encore définitivement arrêtées). Cela, naturellement, avec le label « unité nationale » : comprendre, l’ensemble des sensibilités politiques devraient donner leur blanc-seing à ce texte. Les députés sans-étiquettes devraient une nouvelle fois passer à la trappe. Au-delà de la méthode, qui n’étonne pas trop dans la foulée du 49-3, c’est la matière même de la loi organique qui pose problème.
Organisé en trois titres et 21 articles, le texte pose d’importants problèmes concernant les libertés individuelles et collectives.
Les élections pour le mois de juin
Le Titre I évoque des dispositions de nature électorale.
Comme pressenti, le report des élections municipales devrait repousser le 2nd tour au mois de juin.
Selon l’article 1, cela implique le maintien des résultats du premier tour. D’autres dispositions de moindre importance concernent les communes de moins de 1000 habitants.
L’article 2 en revanche pose problème puisque le gouvernement s’y octroie le droit de prendre des ordonnances consistant à adapter le droit électoral pour divers éléments : fonctionnement des organes délibérants des communes, règle de dépôt des déclarations de candidatures pour le 2nd tour, règles de financement de la campagne…
Restriction des libertés : du jamais vu depuis De Gaulle
Le Titre II, que des constitutionnalistes et bon nombre de personnalités de gauche ne manqueront pas de qualifier de coup d’Etat, concerne l’Etat d’urgence sanitaire.
Il porte directement sur la notion d’état d’urgence au sens politique du terme. Il donne au premier ministre des pouvoirs exorbitants, à savoir limitation de la liberté de circulation, d’entreprendre, de se réunir et autorise l’exécutif à faire les réquisitions qui lui semblent nécessaires pour faire face à l’urgence sanitaire. Des pouvoirs transmis au premier ministre mais qui, dans la pratique constitutionnelle de la Vème république, reviennent, hors période de cohabitation, au président.
Les prérogatives attribuées à Edouard Philippe et indirectement à Emmanuel Macron n’ont qu’un précédent dans l’histoire récente du régime républicain depuis la Guerre (la vraie) : les pleins pouvoirs attribués à De Gaulle en juin 1958 face aux évènements d’Algérie. Quoiqu’on pense du président De Gaulle, celui-ci avait une autre forme de légitimité aux yeux de bon nombre de français qu’Emmanuel Macron aujourd’hui… la pilule autoritaire pouvait donc mieux passer.
Le ministre de la santé qui, rappelons-le, vient à peine de s’installer à son poste, voit aussi ses prérogatives enfler puisqu’il peut désormais « prescrire par arrêté motivé toutes les autres mesures générales et les mesures individuelles visant à lutter contre la catastrophe ». Des pouvoirs possiblement nécessaires pour faire face à une telle crise ; mais toute la question réside ici dans l’opportunité de céder tant de prérogative à un personnel de gouvernement qui, pour le moment, a surtout brillé par son incurie.
Vient ensuite l’aspect coercitif avec l’article 15, qui dispose tout bonnement que le manquement aux obligations imposées par l’exécutif ou même la méconnaissance des mesures sont punis. Par exemple, refuser une réquisition est potentiellement puni d’emprisonnement et de 10 000 euros d’amende.
Économie : sauver les meubles et cracher sur les droits des travailleurs
Vient ensuite le Titre III concernant l’urgence dite économique et qui élargit les prérogatives de l’État en la limitant néanmoins au cadre permis par l’Union Européenne.
L’article 17, qui développe ce point, est un modèle en matière d’incurie législative puisqu’il permet d’une part un soutien financier direct à des entreprises privées tout en conditionnant cette aide au droit européen qui l’interdit.
Gageons que, acculé, l’État s’assoira cette fois-ci sur le droit communautaire.
Notons néanmoins que ce Titre III déploie un ensemble de mesures visant notamment à suspendre les loyers, les paiements d’impôts et de charges… Un ensemble de mesures visant à limiter la casse en matière de faillite. Des simplifications juridiques concernant les conditions de fonctionnement des personnes morales sont aussi inclues.
Ce Titre III, en forme de bouée de sauvetage pour les entreprises, est également un camouflet sérieux porté aux travailleurs. Il permet en effet de déroger aux règles d’ordre public et aux stipulations conventionnelles concernant le temps de travail, le repos hebdomadaire et le repos dominical.
A cela s’ajoute une batterie de mesures vexatoires analogues sur la prise de congés payés.
Sous couvert d’urgence sanitaire, un ensemble de libertés individuelles et collectives sont ainsi possiblement menacées. Si dans de nombreux cas, l’équilibre des forces en présence dans les entreprises (syndicat et patronat notamment) et le bon sens de chacun prévaudra, les conflits en matière de droit social ne devraient pas manquer au lendemain de ce fameux « état d’urgence ».
Olivier Frèrejacques