Camille Kouchner est courageuse. Le jour où elle a ouvert son ordinateur et commencé à rédiger
La Familia grande, son livre paru au Seuil, nul ne savait mieux qu’elle la portée monumentale qu’il aurait. De fait, dans le microcosme de la gauche intellectuelle et de pouvoir, c’est une déflagration. A plusieurs titres.
Le premier, c’est le déballage, devant des Français ébahis, de l’incroyable concentration des pouvoirs, des honneurs, de l’argent et de la parole publique légitime dans un minuscule milieu qui se partage tout et ne laisse que des miettes aux autres. Ce milieu, celui des enfants de ministres et énarques socialistes, enfants des figures de Mai 68, metteurs en scène de théâtre et réalisateurs, comédiens, journalistes et politiques, qui vit entre le sixième arrondissement de Paris et ses villas de la Côte d’Azur, est hermétiquement fermé et protégé dans ses turpitudes. Même des journalistes expérimentés, rarement surpris par les collusions et la consanguinité du milieu, sont frappés de voir à quel point, dans cette affaire sordide, quasiment tous ceux qui partagent le pouvoir politique, moral, intellectuel et juridique sont mêlés dans un imbroglio idéologique, financier et amoureux. Rien de nouveau : la collusion des élites est un incontournable depuis que la haute bourgeoisie a remplacé l’aristocratie. Mais tout est une question d’échelle : jusqu’à un certain point c’était un fait, mais à ce point c’est une affaire.
C’est aussi une déflagration par la suite de démissions engendrées par l’affaire. Ce n’est d’ailleurs pas la nature des faits qui a provoqué ces départs, mais la publicité des faits dans l’opinion. Il faut dire que le menu est salé parce que, au-delà des atrocités pédophiles commises par Olivier Duhamel, la mort rôde autour de ce milieu : le suicide suspect de Marie-France Pisier dans la piscine de Sanary-sur-Mer, la mort de Richard Descoings cocaïné jusqu’à l’estomac, ça commence à faire beaucoup. Le premier à démissionner est Olivier Duhamel lui-même qui, en se démettant de ses très nombreuses fonctions, débloque suffisamment de postes pour faire vivre plusieurs familles. Ensuite, Marc Guillaume. Le préfet d’Ile-de-France et ancien secrétaire général du gouvernement quitte le conseil d’administration de la fondation chargée de gérer Sciences Po Paris. Un poste particulièrement stratégique puisque cette école forme la classe dirigeante de demain. Ami et fréquentation d’Olivier Duhamel depuis très longtemps, il est extrêmement difficile à croire qu’il n’était pas au courant de ces actes. Puis, Frédéric Mion. Ce haut fonctionnaire est le directeur de Sciences Po, au courant
via Aurélie Filippetti des actes pédophiles d’Olivier Duhamel. Il est sommé de démissionner par une pétition d’élèves, et son avenir est encore en suspens. Ensuite, Elisabeth Guigou. Cet ancien ministre du Travail et garde des Sceaux, qui avait assuré lors des débats sur le Pacs que le mariage des homosexuels ne passerait jamais, était chargé d’une mission contre l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants. Une abjection sans nom, puisqu’elle était une proche notoire d’Olivier Duhamel.
Ce qui est saisissant dans cette affaire, c’est non seulement le contenu de ce grand déballage, mais aussi le silence assourdissant au sujet des origines idéologiques de ces comportements. La pédophilie, si elle est avant tout un fait psychologique, psychiatrique, sa commission n’est dans ce cas-ci pas dissociable des idées d’Olivier Duhamel. Les faits ont eu lieu dans une maison où la liberté sexuelle était non seulement pensée, mais également assumée. Tout le monde couche avec tout le monde, au-delà des barrières morales posées par la conception traditionnelle du couple. La liberté sexuelle revendiquée par les idéologues soixante-huitards a fini par trouver des limites, à savoir les tabous fondamentaux qui structurent notre humanité, comme l’est l’inceste. Décidément, cette génération du baby-boom aura tout cassé, tué ses parents, dilapidé l’héritage de la famille et empêché ses enfants de vivre. Ne nous y trompons pas : la perversion des ultra-progressistes est liée à leur volonté de déconstruction.
Et c’est là le point clef. Daniel Cohn-Bendit, Dominique Strauss-Kahn, Olivier Duhamel, Gabriel Matzneff, Jack Lang, Frédéric Mitterrand, quel est le point commun entre ces hommes, outre leur sexualité au minimum outrancière ? Leur idéologie. Eux ont proclamé qu’il était « interdit d’interdire ».
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