Présent - L’euro, une espèce menacée ? C’est une question que j’ai maintes fois évoquée sur TVLibertés, mais la menace se précise. La preuve en est que les plans de sauvetage se multiplient (eurobonds, MES, BEI : derrière ces acronymes totalement étrangers aux peuples européens, des pompiers pyromanes). La survie de l’euro a été évoquée par Ch. Gave, O. Delamarche, J. Sapir, que j’ai reçus dans « Politique & Eco », considérés comme francs-tireurs. Maintenant on entend les orthodoxes s’inquiéter pareillement de la survie de l’euro. « Le retour d’une crise de la zone euro inquiète », explique John Velis, de la banque américaine BNY Mellon. Patrick Artus (Natixis) nous en a prévenus précocement. Euro, par ici la sortie !
Toujours la « pompe à phynance »
La distribution de monnaie face à la crise est la continuation de l’alchimie médiévale par d’autres moyens.
— 90 % des entreprises qui ont bénéficié du PGE, prêt garanti par l’Etat, sont des TPE.
— 38 milliards « pré-accordés » au 21 avril à 269 000 entreprises.
— L’Etat s’est lancé dans une politique dite anticyclique en injectant des milliards afin de soutenir la trésorerie des TPE et des PME.
— L’Etat prend en charge le chômage partiel.
— Les garanties d’emprunts via Bpifrance vont atteindre plus de 300 milliards d’euros ce qui permet d’assurer le bilan des banques qui pourront distribuer plus de crédit.
Bref la pompe à phynance va fonctionner à plein régime mais non sans conséquences. Seul le Père Ubu peut croire qu’une telle action est sans contrepartie.
De son côté Mme Lagarde a décidé d’injecter 750 milliards via un PEPP (programme d’achat urgence pandémique) pour lutter contre la crise financière. Cette somme s’ajoute aux 120 milliards de la semaine passée. Or le bilan de la BCE, déjà gonflé de rachats de titres aux banques, avant la crise (le fameux QE), est outrageusement gonflé. Comment peut-on accorder sa confiance à une monnaie qui se met à ressembler aux assignats de la Révolution ou bien encore à la monnaie de John Law de sinistre mémoire ? L’ensemble de cette planche à billets frôle désormais les 10 % du PIB européen.
Qu’est donc le « spread » ?
Plus inquiétant, le spread. Ce mot anglosaxon et savant cache une réalité simple, les écarts de taux d’intérêt que les marchés consentent aux pays européens pour financer leurs déficits. Ces écarts se creusent, surtout entre l’Italie et l’Allemagne (Italie, déficit : 135 % du PIB), mais la France n’y échappera sans doute pas (France, donnée à 122 % du PIB contre 100 % avant la crise). A quoi sert la monnaie unique si l’on doit emprunter à des taux qui ne le sont pas ? Et avec les déficits, la dépréciation de l’euro est donc en route, faute évidemment de pouvoir dévaluer. Ce qui est interdit par les traités, et impossible à 19 pays (sur 27).
On l’a vu avec la crise des corona bonds et le mécanisme européen de stabilité (MES), il y a une Europe du Nord et une Europe du Sud ; cette séparation culturelle et économique, visible depuis la crise de 2008, est devenue béante. Le Nord ne veut plus payer pour les dépensiers du Sud, les cigales. Entre les deux, la Mitteleuropa balance : voyez mes demandes d’aide budgétaire, je suis cigale, voyez mes exigences de rigueur, je suis fourmi ! L’euro est désormais en sursis.
Olivier Pichon pour Présent