Visegradpost - 2019 n’a certes pas renversé la table de la politique hongroise et le Fidesz de Viktor Orbán est toujours dominateur, mais la perte de Budapest aux élections municipales d’octobre a néanmoins écorné pour la première fois un Fidesz qui était invaincu dans une élection majeure depuis octobre 2006, et redonné des espoirs à l’opposition en vue des législatives de 2022, tout en suscitant quelques tensions au sein du Fidesz.
Ce que le triomphe 2018 du Fidesz a masqué
Après sa nouvelle victoire aux
législatives d’avril 2018, accompagnée d’un inespéré renouvellement de la majorité constitutionnelle des deux tiers de l’Assemblée (pour la troisième fois consécutive), le Fidesz de Viktor Orbán semblait devoir poursuivre tranquillement sa domination politique en Hongrie. La carte de la lutte contre l’immigration illégale (après la crise de 2015) et des réseaux Soros avait produit ses effets.
Néanmoins, notre chroniqueur Modeste Schwartz
mettait en garde dès le lendemain de la victoire d’avril 2018, soulignant notamment un début de décrochage électoral au sein de l’électoral jeune : «
comparé à celui de son adversaire le plus novateur (le Momentum, sorte de réplique hongroise de En Marche), l’électorat du Fidesz présente une pyramide des âges presque inversée, notamment marquée par de relativement faibles effectifs dans la tranche la plus jeune. Ces électeurs, dont beaucoup n’étaient pas nés au moment de la chute du communisme, peuvent tout au plus se souvenir – à titre de repoussoir – des années Gyurcsány (deux périodes qui n’ont cependant presque rien en commun à part une certaine continuité dynastique des apparatchiks ex-communistes convertis au néo-libéralisme) ; pour eux, « le système », c’est le Fidesz. » (...
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Le feuilleton inachevé de l’année 2019 : le Fidesz et le PPE
Étant donné le succès de la recette en 2018, le Fidesz a poursuivi ses campagnes sur la thématique de l’immigration et des réseaux Soros,
associant cette fois-ci Soros et Jean-Claude Juncker (alors président PPE de la Commission européenne, ayant reçu le soutien des eurodéputés du Fidesz en 2014).
Quelle pouvait être la stratégie d’Orbán ? Provoquer un électrochoc ou une rupture au sein du PPE dans l’espoir de dessiner une nouvelle coalition au Parlement européen ? Toujours est-il que cette fois-ci, le PPE (dont une bonne partie des élus avait voté le rapport Sargentini) faisait de cette nouvelle campagne un casus belli, et que l’exclusion du Fidesz était évoquée. De son côté, Orbán annonçait que
l’avenir du Fidesz en dehors du PPE était possible.
Au final, le feuilleton s’est interminablement prolongé pour aboutir à une situation curieuse : le Fidesz
annonçait en mars son « auto-suspension » du PPE le temps qu’un comité de sages du PPE (composé notamment de l’ancien chancelier autrichien Wolfgang Schüssel, critiqué en son temps pour avoir gouverné avec le FPÖ) étudie le cas du Fidesz. Une façon pour le Fidesz de ne pas perdre la face auprès de son électorat, tout en gardant la possibilité de réintégrer le PPE en fonction de la configuration politique qui sortirait du scrutin européen.
Néanmoins, début mai,
Orbán annonçait lâcher Manfred Weber, le « Spitzenkandidat » du PPE, s’efforçant ainsi de conserver un statut de « faiseur de rois » au niveau européen.
Des européennes en relatif trompe-l’œil
Comme à chaque scrutin européen tenu depuis 2004 en Hongrie (47% en 2004, 56% en 2009, 51% en 2014),
le Fidesz a largement remporté les élections européennes avec 52,5% des voix, passant de 12 à 13 eurodéputés (ce qui était l’objectif annoncé du Fidesz, afin de conserver le plus grand poids relatif au sein du PPE).
L’usage renouvelé de la thématique migratoire et l’excellente mobilisation de l’électorat du Fidesz (qui explique que le Fidesz a toujours obtenu des résultats légèrement meilleurs aux européennes qu’aux législatives) a ainsi permis au parti de Viktor Orbán de poursuivre sa dynamique de 2018. (...
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Jobbik et gauche libérale : les succès de l’alliance arc-en-ciel aux élections locales d’octobre
Ce qui a fondamentalement changé dans la politique hongroise en 2019, ce n’est pas le Fidesz (qui est resté très stable en nombre absolu et en pourcentage de suffrages exprimés aux élections), mais la configuration politique de son opposition.
Répétant
le modèle expérimenté en février 2018 à Hódmezővásárhely, l’ensemble des partis d’opposition s’est coordonné sur la totalité du pays pour présenter des candidats uniques aux élections municipales.
L’impensable rapprochement du Jobbik (anciennement parti nationaliste radical ayant entamé un
virage centriste en 2016) et des partis de la gauche libérale a été peu analysé par les médias occidentaux, le Visegrád Post ayant été l’un des rares médias à évoquer ce sujet qui a eu de lourdes conséquences sur la vie politique hongroise. En effet, les électorats des différents partis ont étonnamment suivi les mouvements d’appareil, et on a ainsi vu des électeurs de gauche voter pour des candidats du Jobbik, et des électeurs du Jobbik voter pour des candidats de gauche (y compris du parti de l’ancien Premier ministre Ferenc Gyurcsány, dont
le rejet violent en 2006 avait été à la source du décollage du Jobbik).
Dès lors, l’alliance arc-en-ciel de tous les partis de l’opposition parlementaire est parvenue à mettre en difficulté le Fidesz, en remportant la capitale Budapest mais également 10 des 23 villes les plus importantes du pays, dites de droit comital (départemental). (...
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2020 : le Fidesz entrera-t-il en crise ? L’opposition parviendra-t-elle à continuer à s’entendre ?
Après les batailles électorales de 2018 et 2019, l’année 2020 devrait constituer un premier
round d’observation, étant donné qu’il n’y aura pas de scrutin avant les législatives du printemps 2022.
Lors de sa
conférence de presse internationale de début d’année, Orbán a annoncé que 2019 était une année d’élections, et que les années 2020 et 2021 seraient consacrées pour le Fidesz à la gouvernance du pays.
Le Fidesz semble chercher à reprendre la main en trouvant d’autres axes que les cordes usées de la thématique migratoire (même si celle-ci n’est pas pour autant laissée à l’abandon ou reniée). La nomination d’une jeune femme de 22 ans, Zsófia Rácz, au poste de sous-secrétaire d’État à la jeunesse, a été durement critiquée par l’opposition en raison du fait qu’elle n’a pas terminé ses études universitaires, mais montre une volonté du Fidesz de s’adresser aux jeunes générations, auprès desquelles il a une image ringardisée. De même pour les annonces du gouvernement au sujet de la mise en place de politiques de protection de l’environnement, thématiques jusqu’alors peu présentes dans le discours du Fidesz.
Autre difficulté pour le Fidesz : produire une analyse cohérente pour expliquer la situation, afin d’y trouver les parades adéquates. De nombreux commentateurs favorables au gouvernement ont régulièrement décrit l’alliance « arc-en-ciel » de la gauche et du Jobbik comme une alliance entre les « rouges » (
vörösök) et les « fascistes » (
nyilasok). On comprend aisément les publics ciblés par cette description : l’électorat vieillissant du Fidesz, très anti-communiste, et la bourgeoisie ralliée au Fidesz susceptible d’être choquée par le recyclage d’anciens radicaux de droite.
(...) En mai 2020, cela fera 10 ans que Viktor Orbán est revenu au pouvoir. Souvenons-nous qu’en mai 1968, c’était justement sous le slogan « 10 ans c’est trop ! » que la France manifestait contre le Général de Gaulle. Notons toutefois qu’à l’époque, le Général approchait les 80 ans, tandis qu’Orbán n’aura encore que 56 ans lorsqu’il fêtera les 10 ans de son retour aux affaires.
Le chemin d’ici 2022 est encore long, pour le Fidesz comme pour l’opposition (où chacun cherche à se positionner en meneur, et où les intérêts et les stratégies pourraient diverger tôt ou tard). D’ici là, de nombreux événements (économiques ou géopolitiques) peuvent encore bouleverser la donne. Mais le jeu politique hongrois est plus ouvert qu’il ne l’a jamais été depuis une décennie.
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