Ray Bradbury est mort il y a dix ans. Il reste à jamais l’auteur de Fahrenheit 451 qui semble annoncer notre monde en voie de déculturation, où la littérature s’affadit pour complaire aux « minorités » et disparaît au profit des écrans et de l’uniformité. Le contrôle des esprits conclut le processus.
Ray Bradbury dans son bureau en 1987.
De Ray Bradbury (1920-2012), tout le monde connaît au moins de nom
Fahrenheit 451, paru en 1953. Le roman décrit un pays – les Etats-Unis au XXIVe siècle de notre ère – où posséder un livre est le crime absolu. Tout livre qui n’a pas encore été détruit doit être brûlé, son propriétaire et la maison avec. Le succès de ce titre fait de l’ombre aux autres livres d’un écrivain prolifique. A dire vrai, ils ne sont pas aussi prenants que
Fahrenheit 451. Les nouvelles qui composent
Le Pays d’octobre (1943) et
Chroniques martiennes (1950) sont inégales. Effet des traductions ? Ou limites du talent d’un auteur de science-fiction ? Il récusait cette étiquette qui le suivit toute sa vie. Bien que
Le Pays d’octobre ne soit en rien de la science-fiction, Gallimard l’a mis dans sa collection « Folio SF ». Même
Chroniques martiennes, Bradbury ne le considérait pas comme appartenant à ce genre. « Cinq pour cent de science-fiction, le reste étant de la
fantasy », expliquera-t-il (introduction au
Pays d’octobre, ajoutée en 1996).
Fantasy, ou mythologie : « C’est Toutankhamon extrait de sa tombe quand j’avais trois ans, les Eddas islandais quand j’avais six ans et les dieux gréco-romains qui me faisaient rêver quand j’avais dix ans : de la mythologie à l’état pur » (introduction à
Chroniques martiennes, datée de 1997).
Contrairement à ce qu’on pourrait croire,
Chroniques martiennes ne raconte pas l’invasion de la Terre par les extra-terrestres – ce fantasme à base de petits hommes verts roswelliens devenus un lieu commun –, mais l’invasion de Mars par l’homme, où on croise peu les Martiens dont on devine plutôt la présence mystérieuse. Cette invasion se déroule de 2030 à 2057 – bientôt, donc –, jusqu’à ce que nous appellerons « le grand remplacement » des Martiens par les Terriens. En moins d’une trentaine d’années, tenons-le-nous pour dit…
La distinction entre genres littéraires plus ou moins nobles n’avait aucune valeur aux yeux de Bradbury. Un livre est bon, ou pas – si son histoire captive, ou non. Bradbury ne reniait pas sa passion de jeunesse pour les
comics. « Je suis un enfant de ce siècle. Qu’est-ce que cela signifie ? Simplement que j’ai grandi avec
Buck Rogers et
Flash Gordon. […] Si je n’avais pas baigné dans cette splendide médiocrité, cette lie superbe et merveilleuse, je ne serais certainement pas écrivain aujourd’hui. Je n’ai que du mépris pour ces snobs de la littérature, qui tournent le dos à leurs racines, à leur enfance, à ce qu’ils ont aimé de tout leur cœur. » Et de viser le
pop art de Roy Lichtenstein et Andy Warhol : « Les gens de l’art moderne viennent, un peu tard, nous parler bandes dessinées et héros. Mais nous les envoyons paître. Nous leur répondons : nous connaissons tout ça depuis longtemps ! Ne venez pas nous parler de ce que nous avons déjà aimé, et bien aimé ! » (préface à des adaptations en BD, d’ailleurs décevantes, de quelques-unes des chroniques martiennes :
Planète rouge, Albin Michel, 1984).
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