Depuis 2014, aux portes de l‘Europe dans le Donbass, une drôle de guerre oppose l’armée ukrainienne aux soldats séparatistes pro-russes de l’est du pays, soutenus par Moscou.
En Ukraine, deux peuples s’affrontent, intellectuellement comme physiquement. D’un côté les “élites” et la jeunesse occidentalisée de Kiev, qui ne rêvent que d’Europe, de l’autre ceux du Donbass, ces “déclassés” de la grande époque minière soviétique qui rêvent, eux, de se donner à Moscou dans une nostalgie de l’empire disparu. Moscou s’appuie sur ceux-là. L'Amérique, ainsi que l’Union européenne, soutiennent ouvertement les autres.
Le Donbass est bien la ligne de fracture entre ces deux mondes et l’affrontement sur le terrain entre l’armée ukrainienne et les “séparatistes” pro-russes constitue aussi un front ouvert entre la Russie et l’Occident.,et le moindre incident y survenant peut engendrer des conséquences incalculables.
En attendant, le quotidien des gens du Donbass est rythmé par les tirs de roquettes, de canons et de mitrailleuses, qui partent tantôt d’un côté, tantôt de l’autre. En février 2014, l’éclatement de la révolution, place Maïdan, avait entraîné le départ du président Viktor Ianoukovitch, protégé de Vladimir Poutine. Le nouveau pouvoir, pro-européen, avait remis en cause la langue russe et ainsi engendré la sécession de la Crimée et son annexion par la Russie. C’est à ce modèle que rêvent les insurgés du Donbass.
Les premiers accords de Minsk, signés en 2014, étaient appelés à mettre fin à la confrontation entre l’Ukraine et les républiques non reconnues du Donbass. L’Ukraine s’engageait à mener une réforme constitutionnelle fixant le statut spécial de Donetsk et Lougansk..
Rassemblés dans l’entité “Novorossia”, ces deux oblasts, entités administratives dirigées par un commandant ayant les pouvoirs civils et militaires, avaient proclamé leur statut de République indépendante, mais dû renoncer à ce qui était leur objectif final : leur rattachement à la Russie. Le Kremlin s’était contenté de prendre acte, sans manifester son intention d’annexer ces deux territoires comme il l’avait fait pour la Crimée.
Dans ce Donbass coupé en deux, le conflit persiste et l’armée ukrainienne continue de s’opposer aux 28 000 séparatistes qui ne lâchent pas prise car les accords ne sont pas respectés.
Le président russe Vladimir Poutine incite ses “rivaux étrangers” à ne pas franchir la ligne rouge et l’arrivée au pouvoir, à Washington, d’un Joe Biden et d’une administration ouvertement anti-russes lui fait multiplier les mises en garde. Pour preuve le déploiement, dernièrement, de troupes russes sur la frontière orientale de l’Ukraine, près du Donbass et de la Crimée au moment où Volodymyr Zelensky, homologue ukrainien de Poutine, lui proposait de négocier à eux deux la résolution du conflit. Vladimir Poutine avait rejeté cette proposition, avançant le fait que Zelensky devait négocier directement avec les séparatistes, ce que celui-ci s’obstine à refuser.
Fin avril, la Russie avait néanmoins retiré ses troupes, qui constituaient “le déploiement le plus massif auquel nous ayions jamais assisté” selon Josep Borrel, le chef de la diplomatie européenne.
Le déploiement des troupes russes aux frontières ne préludait pourtant pas à une intervention militaire réelle, ont noté la plupart des observateurs. Moscou a voulu envoyer une mise en garde contre toute rupture du statu quo militaire dans le Donbass et envoyer un signal aux soutiens occidentaux de Zelensky afin qu’ils fassent pression sur ce dernier. La “ligne rouge “ déterminée par Poutine désigne toute aide militaire à l’Ukraine. Le message étant passé, Poutine avait retiré ses troupes.
La crise ukrainienne reste malgré tout au cœur des tensions actuelles entre Moscou et Washington, même si Biden a tenté une proposition de rencontre avec Poutine, qui,avaient prévenu les experts “ne changera rien, car les problèmes sont trop profonds pour être résolus simplement”. C’est aussi ce qu'estime Arnaud Dubien, de l’observatoire franco-russe à Moscou. Tout juste peut-on espérer “une gestion de la confrontation pour que la situation ne dérape pas”, estime Maxim Samorukov.
En fait, rien n’est réglé et la situation est bloquée. Les deuxièmes accords de Minsk de 2015, destinés à faire appliquer le cessez-le-feu des premiers accords de 2014, et qui prévoyaient un statut spécial, sorte de gouvernement provisoire, pour le Donbass, ne sont pas davantage respectés. Kiev s’efforce de revenir sur toute clause ouvrant la voie à un statut spécial au profit des deux entités de Donetsk et Lougansk, statut qui conduirait à l’émergence d’un nouveau centre de pouvoir dans le pays,indépendant sur de nombreuses questions et qui se construirait ainsi ses propres relations avec la Russie. Un Etat dans l’Etat autrement dit.
En déployant massivement ses troupes, la Russie a lancé un avertissement martial à Kiev pour lui indiquer qu’elle n’accepte pas la non-application des accords de Minsk et qu’elle n’abandonnera pas les séparatistes du Donbass.Aucune des deux parties ne renoncera à son point de vue, semble-t-il, d’autant que les positions de Zelensky ont évolué vers un durcissement “nationaliste”. Comme le souligne Maxim Samorukov ”la seule chose que nous pouvons espérer, c’est qu’il n’y ait pas de guerre entre la Russie et l’Ukraine”.
C.H