L’OCDE vient de publier un rapport qui confirme des informations jusqu’ici éparses : nous avons beau avoir constamment à la bouche les discours à la gloire de l’égalité, notre planète évolue vers une distribution des richesses très inégalitaire : ouvriers, employés, techniciens et cadres tendent à converger vers un statut commun, par écrasement progressif mais inexorable, depuis trente ans, des catégories moyennes, tandis qu’une toute petite élite connaît au contraire un enrichissement spectaculaire.
Ce schéma, on le retrouvait autrefois dans les pays de l’Est, mais il tend à devenir la norme. Aujourd’hui, il y a d’un côté les gagnants de la mondialisation, appartenant à la classe dirigeante internationale, et de l’autre côté le peuple, ou plus exactement les peuples. C’est la fameuse « courbe de l’éléphant » des inégalités, identifiée par Branko Milanovic et évoquée plus d’une fois dans les pages économiques de Présent. Les plus bas revenus augmentent progressivement. Les catégories moyennes s’effondrent sous le poids de la fiscalité, sans que les aides sociales leur soient ouvertes. Et il y a enfin la trompe de l’éléphant, dressée vers le ciel : 2 % de la population, qui constitue une superclasse mondiale, toujours plus riche, toujours plus puissante. C’est celle qui accapare la parole dans les médias, les places dans la vie politique et culturelle, celle pour qui le monde est un village et les frontières un scandale.
Rien de nouveau sous le soleil, direz-vous, c’est l’analyse marxiste classique : la classe bourgeoise contre la classe populaire, les possédants contre les prolétaires ? Mais le problème, c’est précisément qu’il n’y a plus de classe bourgeoise, nous dit au contraire le rapport de l’OCDE. Entre la superclasse mondialisée, et les autres, il n’y a plus rien. L’ascenseur social – qui fit la réussite du système capitaliste – ne peut plus fonctionner, et l’échelle n’a plus de barreaux intermédiaires.
Même Le Monde, l’un des organes de la superclasse mondiale, écrit, dans son édition du 12 avril : « Election de Donald Trump aux Etats-Unis, vote en faveur du Brexit au Royaume-Uni, mouvement des Gilets jaunes… Si ces évènements ont des racines politiques propres à chaque pays, ils ont un point commun : tous sont l’expression, avec plus ou moins de force, d’un ras-le-bol des classes moyennes. »
La marche vers le progrès est stoppée
Dans son rapport de mercredi, l’OCDE situe au milieu des années 1980 la pression fiscale sur cette catégorie de la population. Dans la plupart des trente-six pays membres de l’OCDE, « les ménages ont vu leur niveau de vie stagner ou décliner ». « Pour la classe moyenne, les possibilités de grimper l’échelle sociale sont de plus en plus ténues », commente un expert de l’OCDE.
60 % des parents estiment que leurs enfants connaîtront un niveau de vie et de confort inférieur au leur. La marche vers le progrès est stoppée. L’espoir d’une vie meilleure pour ses enfants, qui est l’un des ressorts de l’ambition, de l’effort, de l’investissement personnel, disparaît. Ce qui explique aussi la dénatalité dans nos sociétés.
Ce n’est pas faire du socialisme que de constater, comme le montre le rapport de l’OCDE, que les revenus les plus bas augmentent raisonnablement, que les revenus moyens stagnent ou baissent, et que la superclasse mondiale connaît un enrichissement sans précédent, grâce à la mondialisation. Ce rapport tombe évidemment à un très mauvais moment pour nos « progressistes ».
Présent